Osez-vous exprimer qui vous êtes ?

Y a-t-il encore une place pour l’initiative personnelle dans nos métiers de cadre ? Où sont les visionnaires, à l’imagination débordante, dans nos métiers de plus en plus standardisés ? ou comment oser s’exprimer librement dans notre vie professionnelle ? Plongée au cœur de l’homme moderne au travail.

Où sont nos inventeurs, nos génies à la française, capables de croiser les disciplines, d’embarquer les autres dans une aventure ? Où sont les visionnaires, capables d’audace, à l’imagination débordante ? Comment est-on passé de nos rêves de projets exaltants de notre jeunesse à devenir fonctionnaire d’Excel au service d’un processus froid et rigide ?

Je ne compte plus le nombre de personnes qui me disent que leur métier est standardisé, avec des tâches spécialisées, découpées. Qui me disent que les moyens à leur disposition ne sont pas proportionnés aux ambitions initiales, et que les idées prometteuses meurent sur une diapositive de présentation au comité de direction, si toutefois l’audace leur aura permis d’aller simplement jusqu’à présenter l’idée.

Le chercheur n’a plus le loisir de chercher mais il doit trouver. Il sait déjà ce qu’il doit trouver avant d’avoir vraiment commencé. Parce qu’il faut trouver le financement d’abord. Il ne pourra plus s’intéresser à la manière dont les fourmis s’organisent entre elles pour en déduire des idées nouvelles dans un autre champ d’application, mais il devra se cantonner à un champ d’exploration prédéterminé. Pas le temps, pas le budget. L’efficacité et le profit prennent le pas sur la maturation que demande la réflexion profonde, sur la soif de découvrir des choses nouvelles.

Une directrice marketing me confiait que sa préoccupation première était de valider la communication par les juristes pour éviter toute attaque judiciaire pour un terme ou une allégation qui serait illégale. Si bien que la phase créative de son métier ne pouvait se faire que sur son temps libre, le weekend : elle construisait et testait sa stratégie de communication entre amis. Le juridique rend la communication aseptisée, et s’éloigne de l’idée géniale initialement conçue. Le métier est réduit à sa conformité à la règle.

Le manager doit « libérer son management » mais, dans les faits, se voit imposer une nouvelle façon de faire sous couvert de liberté : le management libéré réduit, par exemple, la gouvernance à la gouvernance partagée, chacun donne son avis sur la question des salaires, les décisions sont collégiales. Et pourtant cette gouvernance n’est pas adaptée à toutes les situations, toutes les entreprises, toutes les communautés. Le manager devient celui qui applique un process « innovant » qui n’a plus rien d’innovant dans la pratique pour ce manager. L’aventure managériale devient un processus rigoureux, maîtrisé de bout en bout, qui se voit imposé par un cabinet de conseil externe. D’ailleurs ce même consultant prend tout son plaisir quand il change les couleurs et les polices de ses diapositives pour l’adapter à l’entreprise, mais n’a pas le temps d’en changer le fond. C’est le modèle d’affaires des grands cabinets de conseil : dupliquer les bonnes pratiques, sans y mettre la réflexion profonde qui permettrait pourtant de faire toute la différence. C’est moins cher à court terme, et il y a moins de risques pour la carrière de chacun si l’on espère prospérer dans ce cabinet ou cette grande entreprise.

Oui mais voilà : ceux qui ont besoin d’ajouter leur touche personnelle, ceux qui ont besoin de s’exprimer librement, de penser à des choses nouvelles étouffent ! Ils se désinvestissent de leur travail qui devient simplement alimentaire et s’investissent dans des ouvrages personnels ou associatifs. Quelle perte pure pour les entreprises ! Quelle vie morne au travail, tout au long de la semaine, à feindre la joie de vivre pendant la pause café et passer son temps à rêver d’un ailleurs, des prochaines vacances. On fuit le présent devenu insupportable et on s’évade à la moindre occasion : lors d’une journée de télétravail, lors d’un regard frénétique sur son téléphone portable, on procrastine des heures sur Linkedin ou devant des vidéos Youtube qui nous apprennent des choses bien plus passionnantes.

Comment sortir de cette spirale morbide ? Il y a bien des réponses collectives qui dépassent ici mon propos. Elles sont nécessaires mais je préfère me concentrer sur cette question qui nous concerne tous : qu’est-ce que je peux faire pour sortir de cette ornière ? Qu’est-ce qui est en mon pouvoir pour agir et ne pas subir cette situation ?

Pour ceux qui ont soif de s’exprimer, d’ajouter leur touche, d’avoir une part d’initiative personnelle, c’est à vous de découvrir quel genre de mission, tâche, responsabilité vous correspond. Et c’est en découvrant ce qui est fait pour vous que vous allez être capable d’être proactif, de chercher activement ce genre de mission, et de pouvoir déceler si les conditions de l’environnement sont réunies pour pouvoir donner la pleine mesure de votre talent. Un exemple concret : inutile de vous engager dans une mission alléchante de prospective stratégique si le poste a été créé uniquement pour obtenir des crédits d’impôts : vous n’aurez pas les moyens des ambitions affichées.

Alors comment découvrir ce qui est fait pour vous ? c’est en relisant en profondeur, à l’aide du regard de l’autre, vos expériences les plus significatives, tant professionnelles que personnelles, que vous identifierez votre talent, ce pour quoi vous êtes fait. C’est en vous plongeant dans la connaissance de vous-même, de ce que vous savez faire facilement, de ce qui réussit et de ce qui vous procure de l’enthousiasme, que vous saurez vous exprimer librement, que vous pourrez devenir qui vous êtes.

Prêt à relever le défi ?

Antoine Pruvo